CHAPITRE X

Occupation de Borleias, trente-septième jour

Jaina et ses pilotes filaient à travers l’espace pyrien aussi vite que leurs moteurs le leur permettaient. Ils passèrent non loin de l’étoile, utilisant l’énergie gravifique pour se propulser vers la source du problème.

Quelques minutes après leur appel, la voix d’Iella Wessiri retentit dans l’unité com.

— Alors ?

— Je ne suis certaine de rien, dit Jaina. Une sensation étrange… en rapport avec la Force.

— Il ne s’agit pas des Yuuzhan Vong, alors.

— Non. Mais le problème peut être lié…

— Exact…

— Pouvez-vous diriger vos capteurs vers notre destination ?

— Négatif. Il y a un soleil entre nous… Mais le Rêve Rebelle prend position afin de vous suivre et d’anticiper votre… Ça y est. Il est en position.

Iella se tut un moment, puis ajouta :

— Nous détectons un grand signal et plusieurs petits… avançant droit sur vous. Les anomalies gravifiques indiquent qu’il s’agit des Yuuzhan Vong. Le général Antilles vous suggère d’aller voir, mais en montrant la plus extrême prudence…

— Entendu.

Le général Antilles vous « suggère » d’aller voir… Jaina secoua la tête. Il allait falloir qu’elle s’habitue à être traitée en déesse.

Bientôt, les anomalies lointaines devinrent de petits points sur les détecteurs. Et quelques instants plus tard, Jaina eut un visuel.

Une frégate yuuzhan vong, entourée d’une série de petits coraux-skippers. Et, plus loin, accompagnée d’une horde de vaisseaux-amiraux…

— Contrôle…, souffla Jaina. Je vois un vaisseau-monde. Un gros… même selon les critères yuuzhan vong.

L’estomac de Jaina se serra.

Ce n’était pas le même navire que celui qui orbitait autour de Myrkr – celui où Anakin et Jacen étaient morts… mais la vision la rendait quand même malade.

— Bien reçu, Leader Soleils Jumeaux. Nous vous proposons de revenir…

— Négatif. (Fixant la frégate, Jaina fit une légère correction sur ses coordonnées de vol.) Je veux comprendre pourquoi les éclaireurs sont si peu nombreux.

La voix de Jag résonna dans le cockpit.

— Si peu nombreux ? Ils ont une frégate qui peut nous rendre la vie difficile…

— Ce que je sens… dans la Force… La source est là.

Ce que Jaina captait ne ressemblait pas à la faim dévorante d’un voxyn. Non. Ce qui vibrait…

De la douleur ?

Ils étaient maintenant en vue de la frégate. Trois petits vaisseaux sortirent du groupe pour les intercepter.

— Trois ? protesta Kyp. Je me sens insulté.

— Ils sont supposés nous ralentir, expliqua Jag. Soit nous les ignorons, et nous nous prenons quelques décharges de plasma… soit nous leur réglons leur compte, ce qui permet à la frégate de passer…

— Nous leur réglons leur compte, décida Jaina. Nous rattraperons la frégate ensuite.

— C’est le moment de tester nos nouvelles tactiques.

Jaina invoqua la Force et sentit Kyp l’attendre, comme s’il lui tendait la main. Les trois appareils reprirent leur formation d’entraînement : Kyp et Jaina devant, Jag derrière. Ensemble, ils virèrent et esquivèrent, évitant toujours le feu des canons ennemis.

Jaina choisit la cible ; Kyp l’instant du tir. Le petit vaisseau avala le coup de Jaina, mais celui de Kyp frappa à la queue, neutralisant le basal dovin. Les lasers de Jag le criblèrent de la proue au cockpit, laissant d’énormes plaies béantes. Le petit vaisseau n’était plus qu’une coquille vide. Il dériva tandis que les pilotes des Soleils Jumeaux se préparaient à une nouvelle attaque.

Jaina jeta un coup d’œil à ses instruments.

— Trois quarts de seconde ! Jag, tu as mal anticipé !

— Sauf si je t’ai appris à agir de manière moins prévisible…

Jaina ne put s’empêcher de sourire. Jag n’était pas du genre à accepter la critique.

— On recommence. Il n’en reste que deux. Jag ne se trompera peut-être pas cette fois…

 

La frégate filait vers Pyria. Leurs adversaires éliminés, les trois chasseurs se lancèrent à sa poursuite.

Le vaisseau ennemi quitta l’orbite de l’étoile et fonça vers Borleias. Les capteurs de Jaina repérèrent le Rêve Rebelle – en trajectoire d’interception. Des escadrons quittaient la planète ou sortaient du Lusankya, prêts à combattre.

Les Yuuzhan Vong n’atteindraient jamais Borleias.

— La frégate ralentit, annonça Kyp. Changement de trajectoire… Elle sait que la tentative est vouée à l’échec.

— Attendez… (C’était la voix de Jag.) Regardez son ventre.

Une longue déchirure humide apparaissait dans la coque.

Sous les yeux de Jaina, de petites formes irrégulières sortirent de l’ouverture, suivant l’itinéraire initial du grand vaisseau.

La jeune femme fronça les sourcils. Les formes frétillaient… des armes organiques. Sans doute des créatures transformatrices de mondes, qui visaient Borleias en général plutôt qu’une cible militaire…

L’étrange sensation les accompagnait, réalisa Jaina. Luttant contre la nausée, elle accéléra, fonça vers le nuage des formes grouillantes. La frégate et son escorte s’éloignèrent pendant ce temps.

Alors elle vit ce que la frégate venait de larguer.

Des gens. Humains, à l’exception de quelques Sullustéens, Rodiens ou Devaroniens. Des mâles et des femelles de tout âge, nus…

Non, pas tout à fait nus. En approchant, Jaina vit que les corps étaient couverts d’une enveloppe transparente, légèrement gonflée autour de leurs têtes. Ils portaient une sorte de variation de la combinaison ooglith, la protection environnementale des Yuuzhan Vong.

Cette combinaison leur donnait quelques minutes supplémentaires de survie dans l’espace. Et trois manières de mourir : gelés, par asphyxie ou en prenant feu dès qu’ils pénétreraient l’atmosphère de Borleias.

Oui, quelques minutes de survie seulement… Peut-être deux ou trois…

Une Sullustéenne aperçut le chasseur de Jaina. Tournant la tête, elle croisa le regard de la jeune femme.

Les yeux écarquillés, l’expression implorante…

Jaina resta figée, impuissante.

Soudain, elle s’aperçut qu’une voix parlait sur le système de communication.

— … éjecté des otages, disait Jag. Vêtus d’une combinaison ooglith, ils sont en orbite autour de Borleias. La gravité de la planète ne les a pas encore affectés. J’ignore à combien on peut estimer leur temps de survie. Vingt-deux otages, je répète, vingt-deux…

Ces mots, calmes et cliniques sortirent Jaina de sa rêverie. Son regard se posa sur la frégate et son escorte, qui s’éloignaient…

— Non, dit Kyp. (Sa voix résonna dans le cockpit, mais elle le sentait aussi par le lien qui les unissait.) Non, Jaina. C’est ce qu’ils espèrent…

— La sérénité, murmura-t-elle. (Si elle élevait la voix, la colère allait déferler comme un raz de marée.) La voie du Jedi est la sérénité.

Etendant son esprit à travers la Force, elle trouva la Sullustéenne et… la tira mentalement.

— Kyp, crois-tu pouvoir en sauver quelques-uns ?

— Peut-être. Ça fait une sacrée dose d’énergie cinétique à absorber.

La présence de Kyp faiblissait tandis qu’il se concentrait sur le problème. Sur ses instruments, Jaina vit une des formes ralentir.

Elle tira mentalement plus fort sur le corps de la Sullustéenne et la sentit enfin perdre de la vitesse.

— Jag, tu es inutile. Retourne à Borleias, escorte des navettes jusqu’à…

— Je viens d’appeler des navettes en renfort. Et quand je serai inutile, je te préviendrai. Je vous propose d’arrêter de les ralentir et de suivre mon exemple…

Jag devança les chasseurs, manœuvrant avec délicatesse pour se placer au centre du nuage de victimes… puis il accéléra un peu.

Avec un talent presque inhumain, il fit tourner son appareil jusqu’à ce que la coque soit à quelques mètres d’un humain à la peau noire. La griffe ralentit encore, puis heurta le corps à une vitesse qui devait se situer entre vingt et trente kilomètres heure. L’homme, sous le choc mais encore conscient, se débattit alors que sa trajectoire déviée l’emportait loin de l’attraction de Borleias.

Le vaisseau de Jag vira, l’approchant d’un deuxième otage. Il le heurta à son tour, aussi délicatement que possible. L’impact amocha le bras de la Twi’lek, mais le choc l’envoya virevolter selon un angle qui la sauverait.

 

Le groupe de Jaina réussit à écarter les vingt-deux victimes de la trajectoire fatale. Les otages ne survécurent pas tous. Quatre d’entre eux moururent de froid avant que les navettes n’arrivent. Les autres furent transportés aussitôt dans les services médicaux. Mais aucun ne finit sa vie sous la forme de météorite humaine descendant dans les cieux de Borleias…

L’exploit fut suffisant pour que les trois pilotes soient accueillis à leur retour par les applaudissements des membres des équipes au sol.

Ces félicitations ne déridèrent pas Jaina, Kyp et Jag.

Le vaisseau-monde s’était mis en orbite autour du système, plus loin que la planète la plus excentrée. Et il attendait, entouré de ses vaisseaux-amiraux et des coraux-skippers.

— Tu avais raison, dit Tycho à Wedge. Les Vong ont sorti la grosse artillerie et un chef qui sait la manier avec un style tout personnel.

— Que les victimes, les cadavres et tous ceux qui ont été en contact avec eux passent à la décontamination, ordonna Wedge. Et que le processus soit supervisé par Danni ou Cilghal. Faites la même chose avec l’appareil de Fel. Ils ont pu anticiper la tactique de Jag et piéger leurs otages…

— Je m’en occupe, dit Tycho.

— Un dernier détail, dit Wedge. (Il leva les yeux vers Tycho.) Tu as entendu Jaina sur l’unité com… Son désir désespéré de sauver ces gens…

— Oui.

— Ce n’est pas l’appel du Côté Obscur… Au moins, pas comme je l’entends. J’ai parlé à Kyp, et il paraît certain que Jaina est sortie d’affaire.

— Tu te demandes si nous pouvons lui faire confiance ? Et l’intégrer dans le Cercle Intérieur ?

— C’est ça.

Aucune émotion ne passa sur le visage de Tycho pendant qu’il étudiait la question. Enfin, il acquiesça.

— Je crois qu’elle en est digne. C’est une Solo.

— C’est aussi mon avis. Je la mets sur la liste.

Vaisseau-monde yuuzhan vong, orbite de Pyria

Le pilote yuuzhan vong avait un front à la forme presque humaine, qu’il tentait de dissimuler par des tatouages. Il resta incliné, ses bras croisés en signe de salut jusqu’à ce que Czulkang Lah lui fasse signe de se redresser.

— Votre nom ? demanda Czulkang Lah.

— Charat Kraal.

— Vous êtes un pilote du domaine Kraal et de sa colonie, sur la planète la plus habitable du système ?

— En effet, maître de guerre.

— Ne m’appelez pas ainsi. Mon fils est le maître de guerre. Maintenant, répondez : pourquoi avez-vous pris contrôle de certains éléments de la flotte de Wyrpuuk Cha, les poussant à la mutinerie contre le successeur désigné de Cha ?

— Mes buts et les siens divergeaient… Son intention était de sauver les restes de sa flotte. La mienne, d’améliorer la position des Yuuzhan Vong à l’intérieur du système. J’ai considéré ma stratégie comme prioritaire.

— J’espère que vous avez endommagé considérablement les guerriers et les machines des infidèles grâce aux forces dont vous avez usurpé le commandement…

— Les dommages infligés furent minimes. Mon intention était qu’ils le soient.

Czulkang Lah se retint de sourire. Charat Kraal abordait son exécution avec le courage et la franchise d’un vrai Yuuzhan Vong.

— Expliquez-vous.

— Avant l’arrivée de la flotte Wyrpuuk, j’ai utilisé mes forces pour harceler les infidèles… Pas parce que j’espérais les vaincre avec mes ressources insuffisantes, mais pour obtenir des informations sur eux et sur leurs intentions.

Charat Kraal demanda au pilote qui l’accompagnait d’approcher… Un guerrier qui – si les choses se passaient mal – rapporterait la nouvelle de sa mort au domaine Kraal.

Le pilote portait un villip enregistreur, une créature spongieuse presque aussi grande qu’un torse de Yuuzhan Vong.

— Puis-je ?

Czulkang Lah lui fit signe de s’exécuter.

Charat Kraal posa le villip sur le sol de la salle de commandement et le caressa pour l’éveiller. La créature prit une forme circulaire et brilla d’une lumière dure et jaune qui finit par éclairer toute la pièce.

Des images en trois dimensions apparurent.

Elles se modifièrent tandis que Charat Kraal continuait à caresser et à frotter la créature.

La représentation d’un habitat grashal apparut – sans doute le foyer des Kraal sur Borleias. Puis celle de vaisseaux infidèles en cours d’attaque planétaire et de vais-seaux-amiraux en orbite.

Enfin, l’image se stabilisa sur une vue aérienne du quartier général de l’ennemi, un grand immeuble rond aux nombreux bâtiments secondaires. Des centaines de vaisseaux étaient posés au sol.

— Voilà leur habitat, expliqua Charat Kraal. C’est là que vivent leur général et les équipages. Le général dirige ses opérations à partir d’ici, alors qu’il serait bien plus en sécurité dans un de leurs vaisseaux triangulaires. De nombreux Jeedai séjournent également ici. Ils patrouillent dans les jungles qui entourent le bâtiment.

— Combien de Jeedai ?

— Nous ne le savons pas… Peut-être une douzaine. Leur nombre augmente lentement. Parmi eux se trouvent Luke Skywalker et sa femelle, Mara.

— Et Jaina Solo ?

— Elle est là aussi. Je crois que son statut a évolué. Luke Skywalker était le Jeedai dominant. Maintenant, il semble que ce soit elle.

— Continuez.

— L’intérêt porté à ce site par les infidèles m’a toujours intrigué, mais maintenant, je crois comprendre. Quand les Kraal occupaient ce monde, l’interrogatoire des prisonniers a révélé que des expériences médicales secrètes se déroulaient sur ce site. La création de nouvelles formes de vie. Il s’agit, pour résumer, de l’équivalent d’un complexe de modelage et je suis persuadé que si les infidèles le défendent avec tant de hargne, c’est parce que le modelage doit avoir lieu en ce moment même…

— Que modèlent-ils ?

— Je l’ignore… Comme leur général, le projet aurait été plus en sécurité sur un vaisseau triangle. Nous pouvons en conclure que l’équipement sur lequel ils travaillent est trop délicat pour être déplacé, ou que la créature qu’ils élaborent ne peut exister que sur une planète vivante. Comme les infidèles ont un talent inné pour créer et exploiter de l’équipement, je pencherai pour la deuxième possibilité…

Charat Kraal accéléra le défilement des images, sans s’attarder sur les séquences de décollage, puis il ralentit en voyant un vaisseau à la forme étrange quitter l’usine de biotique. Le vaisseau n’avait rien en commun avec les machines habituelles des infidèles. On eût dit un segment de tube métallique, de la hauteur d’un humain et d’une longueur de vingt mètres, plié en angle droit au milieu ; un autre tube d’un mètre de diamètre et de cinq de long était placé à égale distance des deux autres.

Un cockpit à deux places, qui paraissait avoir été arraché à un chasseur, était fixé au niveau du pli, et deux moteurs avaient été installés sur les deux parties les plus larges du cylindre, orientés dans la même direction que le tube court, dont les extrémités étaient fermées par un étrange objet aux « pétales » métalliques.

— Il existe trois « vaisseaux » de ce type, expliqua Charat Kraal. Un quatrième est doté de protubérances qui jaillissent toutes dans la même direction, à part la dernière, disposée à angle droit par rapport aux autres. J’ai vu cet appareil, mais je n’ai pas réussi à rapporter des images. Mes espions, qui écoutent les conversations des infidèles dès qu’ils sont assez proches, les appellent des « vaisseaux tubes » et ont appris qu’ils faisaient partie de l’opération Lanceur d’Etoiles. Ils volent de manière assez maladroite. Dans l’espace, ils se placent en triangle, puis attendent que le quatrième s’installe au centre de la formation. Ils communiquent ensuite pendant plusieurs minutes. J’ignore pourquoi.

— Des hypothèses ?

— Je suis un pilote, pas un scientifique infidèle. J’ai demandé à une de mes conseillères, plus douée en mathématiques que moi, de me donner son avis. Selon elle, le « tube droit » du quatrième vaisseau est pointé exactement sur Coruscant. Peut-être s’agit-il d’un système d’espionnage, de communication… ou d’une arme visant leur ancienne capitale.

— Intéressant.

Czulkang Lah dévisagea le pilote.

— Votre Grandeur, si je puis me permettre…, dit Charat Kraal. Si votre intention est d’ordonner ma mort, je vous demande de me laisser me suicider. De cette manière, j’aurais achevé mon but qui était de servir, même un court instant, le grand Czulkang Lah.

— Silence ! Charat Kraal, je vous nomme au grade de chef de vol. Vous effectuerez des opérations spéciales sous mes ordres, souvent en association avec mes autres combattants. Une de vos tâches sera la capture de Jaina Solo. Plus tard, d’autres missions vous seront confiées… Et vous n’obéirez qu’à moi. Est-ce bien compris ?

— J’ai compris, votre Grandeur.

Charat Kraal eut du mal à rester impassible.

— Partez.

Occupation de Borleias, trente-neuvième jour

Les pilotes de l’Escadron Soleils Jumeaux sortirent de leurs ailes X et ailes E, et Jag de sa griffe. Ils traversèrent le hangar des opérations spéciales en bavardant, heureux d’avoir accompli une mission sans pertes humaines. Ils avaient escorté les chasseurs « tubes » de l’opération Lanceur d’Etoiles dans l’espace, les avaient protégés tandis que les vaisseaux effectuaient quelques tests puis les avaient raccompagnés sans dommage.

Les coraux-skippers avaient épié leurs activités, sans s’approcher… Ils s’intéressaient au projet, mais n’étaient pas prêts à attaquer.

Les pilotes de la Nouvelle République en étaient cependant persuadés : quelle que soit la prudence du nouveau commandant yuuzhan vong, l’offensive ne tarderait pas.

Jaina se laissa devancer, mettant une certaine distance entre elle et ses pilotes. Une déesse ne devait pas se montrer trop amicale. Puis, quand elle fut assez éloignée pour qu’aucun Jedi ne puisse capter ses raisonnements, une nouvelle pensée lui traversa l’esprit :

… Et une femme condamnée ne doit pas être trop proche de ceux qui pourraient la regretter après sa mort…

Elle s’appuya contre la coque de son chasseur.

Quelque chose s’agitait en elle. Quelque chose d’étranger dont elle ne parvenait pas à se débarrasser. La haine de l’ennemi. Ce sentiment existait-il en elle depuis le début de l’invasion et la disparition de Chewbacca, avec ses conséquences pour son père et sa famille ? Mais elle en était seulement consciente depuis la mort d’Anakin.

La haine.

Réveillée, deux jours plus tôt, par l’arrivée du vaisseau-monde yuuzhan vong et le largage des otages dans l’atmosphère de Borleias…

La haine n’était pas la bonne voie pour un Jedi. Et inutile pour quelqu’un qui ne comptait pas survivre à cette guerre… Non, pas avec le nombre d’ennemis qui les menaçaient. Jaina avait mieux à faire que haïr.

A moins que ce sentiment soit utile à un pilote. Peut-être pourrait-elle l’aider à se concentrer, lui donner l’intensité dont elle avait besoin au combat.

Mais la haine restait une émotion douloureuse. Elle la repoussa, tenta de l’atténuer par la logique.

Tandis que Jaina se calmait, s’ouvrant à la Force, elle sentit une présence rassurante.

Enfin, une présence qui se voulait rassurante…

Tahiri approchait. Jaina lui sourit.

Tahiri avait été très proche d’Anakin. Si proche qu’elle serait peut-être devenue une Solo. Mais ce jour n’arriverait jamais. Jaina pensait parfois que la jeune fille n’avait plus qu’à dériver loin d’eux comme une planète ayant échappé à l’attraction de son soleil.

Jaina était censée avoir de la peine pour Tahiri, elle le savait. Mais le chagrin était une émotion de plus sur la liste de celles dont elle essayait de se débarrasser.

Une relation humaine de plus à entretenir, alors qu’elle devait commencer un tri…

Les vêtements et la peau de Tahiri étaient maculés de taches d’herbe.

— Tu es partie patrouiller ?

Tahiri hocha la tête.

— J’ai passé deux bonnes heures à jouer à cache-cache avec les Yuuzhan Vong. Je n’en ai pas vu l’ombre d’un…

Mais on a dû s’apercevoir de ma présence, parce que j’ai tué un insecte-tonnerre. En revenant j’ai entendu dire que ton escadron était rentré. J’ai pensé que tu aurais envie de parler…

— Pas vraiment.

— Ou de te détendre. Des petits malins de l’Escadron Rogue ont converti un bassin de réacteur en jacuzzi. Ils sont en patrouille, et l’endroit est libre…

— Je n’ai pas le temps. Wedge m’a organisé une réunion avec un groupe des services secrets… Les Spectres. On parlera de guerre psychologique et de Yun-Harla, la déesse de la tricherie des Vong. Et… je dois faire quelque chose que je n’ai vraiment pas envie de faire…

— Quoi ?

— Parler à Kyp. Je veux lui confier le commandement de l’Escadron Soleils Jumeaux.

— Tu viens d’en prendre la tête et tu l’abandonnes déjà ?

— Seulement pour quelques semaines, j’espère. Je vais… Tu es au courant de l’expédition d’oncle Luke.

— Oui.

— Je vais m’inviter.

Tahiri resta silencieuse un moment.

— Jaina, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

— C’est ce que tout le monde dira. Mais papa et mère pensent que Jacen est…

Jaina s’interrompit. Pourquoi était-il si dur de prononcer le mot « vivant » ?

Puis elle comprit la réponse. Parce qu’elle voulait croire ce que Leia croyait, mais n’y parvenait pas. Il existait un lien psychique entre elle et son jumeau, à travers la Force, et il avait été rompu. Jacen était mort. Croire le contraire était un fantasme inutile à un moment où toute distraction pouvait être fatale.

— Ils pensent que Jacen est là-bas… Je vais y aller… pour prouver que non.

— N’y va pas, dit Tahiri, une conviction étrange dans la voix.

— Je dois le faire.

— Non. Tu augmentes la probabilité que Luke ou Mara se fassent tuer.

— Tu n’as pas une très haute opinion de mes talents…

— Si. (Tahiri ne s’excusa pas.) Mais si c’était seulement une question de talent et de puissance, tu enverrais Kyp Durron.

— Non… ça ne fonctionnerait pas. Les choses n’ont pas toujours été faciles entre Kyp et Luke et…

— Exactement. Ce qui prouve que j’ai raison : le talent n’est pas seul en cause.

— Alors, quoi ?

— Eh bien, d’abord, il y a cette histoire de jumeaux. Les Yuuzhan Vong voulaient vous réunir, Jacen et toi. Nous ignorons pourquoi, mais le résultat ne serait sans doute pas un bienfait. (Tahiri détourna les yeux.) Jaina, il me suffit de penser d’une certaine manière pour devenir yuuzhan vong… aussi longtemps que je le supporte. Cette fascination pour les jumeaux… ce n’est pas un intérêt passager, mais une obsession. Les yeux des dieux regardent là où sont les jumeaux. Ils distordent la réalité autour d’eux. C’est un concept sacré…

— Et alors ?

— Alors… imaginons que Jacen soit vivant. Espérons-le. Disons que tu accompagnes maître Skywalker sur Coruscant. Tu es vue, mais pas capturée. Les Yuuzhan Vong s’avisent qu’ils ont les deux jumeaux à leur portée, sur la planète… Ils enverront des guerriers, plus, beaucoup plus qu’ils n’en enverraient contre des envahisseurs banals, voire des Jeedai – des Jedi, je veux dire… N’ai-je pas raison ?

— Si, je suppose. Mais peut-être ne me reconnaîtront-ils pas.

— Peut-être. C’est sur ce « peut-être » que tu risques la vie de Luke et de Mara ?

Jaina se sentit accablée. On eût dit ses combats contre oncle Luke, à l’entraînement. Elle faisait de son mieux, croyant le mettre sur la défensive… Puis elle s’apercevait que ses stratégies devenaient de plus en plus risquées, et qu’elle perdait l’avantage.

Et aujourd’hui, elle perdait de nouveau. Tahiri gagnait. Tahiri, bien plus jeune qu’elle, qui était ravagée par la douleur depuis la mort d’Anakin…

— Luke et Mara sont moins proches de Jacen que moi. Je suis sa jumelle.

Jaina savait, au fond de son cœur, qu’elle avait tort. Mara et Luke étaient assez puissants et ils avaient un lien assez profond avec la Force pour accomplir leur mission. Mais elle s’accrochait.

— Alors j’irai à ta place, proposa Tahiri.

— Toi ?

La jeune fille hocha solennellement la tête.

— Je ne connais pas Jacen aussi bien que toi, ni physiquement, ni à travers la Force. Mais nul ne connaît mieux les Yuuzhan Vong et leur manière de penser…

Jaina resta silencieuse, incapable de répliquer.

— Je crois…, dit-elle enfin.

Elle s’interrompit. L’excitation de la dispute s’évanouit, laissant place au calme et à la réflexion.

Luke aurait approuvé sa réaction.

— Je crois que tu te laisses influencer par tes émotions, termina-t-elle enfin.

— Je pourrais dire la même chose de toi, riposta Tahiri. Ce qui nous ramène au point de départ. Soit aucune de nous deux n’y va, soit j’y vais.

Jaina soupira, admettant sa défaite. Etrangement, elle ne se sentait ni irritée ni furieuse. Seulement épuisée.

— Vas-y, Tahiri.

Elle vit la jeune fille se pencher en avant, comme si elle voulait l’étreindre, mais elle se détourna à temps pour s’éloigner. Jaina ne voulait pas nouer des liens avec Tahiriqui souffrirait ainsi moins quand elle serait morte.

— Merci.

— De rien, dit Tahiri. Mais je voudrais ajouter quelque chose qui ne va pas te plaire.

Le ton de Tahiri était étrange. Jaina se retourna.

— D’accord, dit-elle. Je t’écoute.

— Je me mêle de problèmes qui ne me regardent pas, je le sais. Mais il faut que ça sorte. (Tahiri prit une profonde inspiration.) Tu devrais arrêter d’éviter ta mère.

— L’éviter ? (Jaina laissa échapper un rire incrédule.) Je ne vois qu’elle ! Nous nous croisons douze fois par jour !

— Tu sais ce que je veux dire. Quand tu lui parles, tu t’adresses à un défenseur de Borleias. Pas à ta mère.

— C’est ridicule. Je ne l’appelle pas « Leia », ou, « Eh, toi », ou « hé, la femme de Yan, c’est quoi, déjà, votre nom… »

— Tu l’appelles « mère » maintenant, au lieu de « maman ».

— Vraiment ?

Jaina fronça les sourcils, rassemblant ses souvenirs.

Tahiri l’observait.

Jaina eut la désagréable impression qu’elle percerait ses tentatives de justification à jour.

— Ecoute… J’aime ma mère. Mais notre lien n’est pas très fort… Nous avons été si souvent séparées. Elle essayait de construire la Nouvelle République pendant que Jacen, Anakin et moi étions à l’abri sur Yavin 4, ou sur des mondes isolés, avec Chewbacca ou Winter…

— Cette séparation vous a-t-elle vraiment empêchées de construire un lien ? Ou est-ce que tu lui en veux ?

— La question est idiote…

— Si tu le dis. Mais il suffirait que tu ouvres ton esprit, que tu te tournes vers elle… et d’un coup, le lien serait rétabli. (Des larmes perlèrent aux yeux de Tahiri et elle se détourna.) A un moment, on comprend qu’on a eu sa dernière conversation avec l’être qu’on aime… Qu’il est parti, pour toujours. En es-tu arrivé à ce point avec ta mère ?

La vision de Jaina se brouilla à son tour. Sa résolution disparue, elle se tourna vers Tahiri et la serra dans ses bras.

— Non… Nous n’en sommes pas à ce point.

— Si tu le dis, souffla Tahiri. (Elle lui rendit son étreinte, puis se dégagea, sans croiser le regard de Jaina.) Il faut que j’aille me changer…

Derrière les lignes ennemies 1 - Le rêve rebelle
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